17 mars 2020
Carnet / Après moi le sommeil
Max Ernst, Après moi le sommeil
À part les voyages touristiques à Lisbonne et à Séville que la nécessité et le bon sens me commandent de reporter, la limitation des déplacements ne change pas tellement mon mode de vie à la campagne. Derrière ma maison, s’étendent des forêts, des collines et des prairies le plus souvent désertes.
Certaines de mes connaissances me demandent comment je peux tenir un rythme aussi lent dans un environnement si peu peuplé sans m’ennuyer. Je ne sais que leur répondre tant cet état m’est naturel. Comment leur faire comprendre que mes journées sont trop courtes et qu’en vérité, malgré l’interruption de toute activité professionnelle depuis tant d’années, je cours toujours après le temps ?
Je ne me couche pas à plus de 3h du matin parce que je suis insomniaque (je dors plutôt bien) mais parce que je suis obligé de faire déborder mes activités de lecture, d’écoute de musique et d’écriture sur la nuit, une partie de la journée étant réservée aux menues tâches du quotidien que mon incapacité à m’organiser et ma faible efficacité dans le monde concret rendent laborieuses.
Je rejoins mon lit dans un état d’épuisement qui me permet de m’endormir instantanément. Mon défi consiste à m’assurer le minimum de six heures de sommeil au-dessous duquel je prends le risque de matins difficiles. Il est vrai que je dois combattre ma tendance à ne dormir que d’un œil. Je dois me conditionner pour éviter cette mauvaise habitude.
Je me plains souvent de la fatigue mais cette vieille compagne de toute ma vie n’a rien à voir avec mon étrange rapport au sommeil. La fatigue que je ressens à mon âge ne m’inquiète pas car elle est exactement la même que celle que je ressentais durant toute mon enfance, y compris dans mon adolescence où je plongeais pourtant comme tous les jeunes dans de fastueux sommeils. Tout gamin, j’étais déjà obligé de me doper au café pour éviter les micro-sommeils dans la journée, notamment à l’école primaire où il m’est arrivé plus d’une fois de m’endormir sur mon pupitre. Lorsque je travaillais dans la presse, j’ai plusieurs fois été saisi de micro-sommeils pendant que j’interviewais des gens.
À l’époque où je pensais qu’on pouvait trouver des réponses aux questions (alors qu’on peut très bien vivre en se contentant des questions) j’ai souvent réfléchi à la fatigue et au sommeil et sur ce que les relations entre les deux pouvaient apporter à mon activité littéraire. Ce fut en pure perte jusqu’à un jour de 1983 où une visite à la fondation Maeght me permit de m’arrêter longuement devant le tableau de Max Ernst Après moi le sommeil.
Il s’agit d’une huile sur toile (130 X 89 cm), une œuvre de 1958 en hommage à Paul Eluard conservée au Musée National d’Art Moderne du Centre Georges Pompidou à Paris. Le poème d’Eluard auquel renvoie cette toile me parle peu. En revanche, le tableau m’accompagne depuis que je l’ai découvert parce qu’il s’approche assez bien de l’idée que je me fais du sommeil et en particulier du mien.
Grâce à cette œuvre qui m’apparaît comme un paysage intérieur, je ne me perds plus en vaines ruminations sur mon rapport compliqué au sommeil. Il m'arrive même, une fois sous les draps, de me représenter intérieurement Après moi le sommeil pour donner quelques heures d'envol à ma vigilance.
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16 mars 2020
Carnet
« Le whisky est un célibataire endurci, alors que le vin a une maîtresse, la bouffe. »
(Extrait de : Un sacré gueuleton, éditions J'ai lu.)
01:27 Publié dans Alliés substantiels | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : carnet, alliés substantiels, christian cottet-emard, whisky, blog littéraire de christian cottet-emard, citations, jim harrison, nourriture, vin, alcool, un sacré gueuleton
10 mars 2020
Petites vacheries sur les poètes et le printemps des poètes.
(Je sais, cela revient à tirer sur une ambulance. Je ne dis pas que ce n’est pas injuste, je dis que ça soulage.)
Les deux inconvénients du mois de mars sont le baroud d’honneur de l’hiver et le printemps des poètes. Les crocus prennent des gelées, le printemps prend des poètes.
Sale temps pour les rêveurs au printemps des poètes.
Ne te réjouis pas trop vite si on te dit que tu es poète. Pour la plupart des gens, c’est un reproche, au mieux affectueux, vaguement indulgent.
Le poète qui rap et slame c’est un peu comme le vieux minet qui s’habille dans la même boutique que les petits jeunes.
Ne tourne jamais le dos à un poète, tu pourrais prendre son pied au derrière.
Le printemps des poètes, c’est la saison des vers.
Le poète qui joue au loto est un sage.
Le printemps des poètes, cette usine à gaz qui lâche des pets de souris.
Le poète qui se dit poète est aussi douteux que le saint qui se dit saint.
Invité à un repas après le printemps des poètes, j’ai vidé la bouteille de rouge dont personne ne s’occupait. L’organisatrice m’a fait les gros yeux et je me suis senti un peu moins poète que les autres. Pourtant, les poètes que je connais ont plutôt une bonne descente.
Courage poète, casse-toi de ce printemps !
Poète, rappelle-toi Jim Harrison : « Une calamité des années 1960 était la lecture de poésie accompagnée de jazz. À cette époque où je multipliais des lectures publiques, il y avait souvent un ménestrel débile qui grattait sa guitare en même temps que je récitais mes poèmes. » Extrait de Un sacré gueuleton, éditions J’ai lu.
Et W.H. Auden : « Dame nature ? Tiens, c’est une idée, ça. Ne pourrait-on écrire un poème (légèrement désobligeant, peut-être) au sujet de cette Dame-là ? » Extrait de Quand j’écris je t’aime, éditions Points.
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